5 nov. 2009

Dérives métropolitaines et Tropique du cancer / Henri Miller

Entrer la tête la première, le corps, la sonnerie, stridente comme un premier mercredi du mois, en même temps dans le wagon, pousser celui qui se tient à l'entrée et bouche le passage. Démarrer en même temps que le métro, pointant l'équilibre. Apercevoir entre une rangée de quatre derrières regroupés sur une banquette longitudinale un bouquin entrouvert, des yeux qui parcourent le bouquin, des mains qui le tiennent, des doigt qui glissent les pages avec netteté. C'est Marcelline Crane, ainsi vous la reconnaîtrez. Elle en oublie les stations, se rend rarement d'un point à un autre sans grimper ou descendre inutilement, parcourt les lignes sans plaisir mais par absorption, oublie intentionnellement les signaux, monte les marches toujours en courant, les court aussi, dans l'autre sens, toujours en mouvement, pas un escalator à l'arrêt. Une fois dans la rame, le livre resté entrouvert, l'index marquant la page, durant le déplacement transitoire, Marcelline s'assoit, et tout en même temps s'amuse d'observer ses voisins à la dérobée comme d'ouvrir Tropique du Cancer dans le lieu public par excellence. Extrait(s).

" Tandis que Claude - eh bien, avec Claude, il y avait toujours une certaine délicatesse même quand elle entrait sous les draps avec vous. Et sa délicatesse m'était une offense. Qui veut donc d'une grue délicate ! Claude allait même jusqu'à vous demander de tourner la tête quand elle était accroupie sur le bidet. Erreur que tout ça ! Un homme, quand il brûle de passion veut voir les choses; il veut tout voir - et même comment elles font pipi. Et tandis qu'il est très bien de penser qu'une femme a un esprit, la littérature venant du cadavre glacé d'une grue est la dernière chose à servir au lit. Germaine était dans le vrai; elle était ignorante et ardente, elle se mettait à la besogne corps et âme. Elle était putain corps et âme et c'était là sa vertu !

Du soft, du littéraire, du grammaticalement correct, extrait presque plat qui me conduit à vous présenter un autre passage, peut-être plus représentatif des cinq premiers chapitres que Marcelline vient d'achever.

" Dans la même vitrine : Un homme est découpé en tranches ! Chapitre Un : l'homme aux yeux de sa famille. Chapitre Deux : le même, vu par les yeux de sa maîtresse. Chapitre Trois : - Pas de chapitre trois. Faudra revenir demain pour les chapitres Trois et Quatre. Tous les jours, l'étalagiste donne une nouvelle page. Un homme découpé en tranches ... Vous ne sauriez croire comme je suis furieux de n'avoir pensé à un titre comme ça ! Où est-il ce type qui écrit : " le même vu par les yeux de sa maîtresse ... le même vu par les yeux de ... le même ..." ? Où est ce type ? [...] Eh bien ! Va te faire foutre ! Je le félicite tout de même! Voici une autre tranche pour vous - pour votre prochain livre! Téléphonez-moi un de ces jours. J'habite Villa Borghèse. Nous sommes tous morts, ou mourants, ou sur le point de mourir. Nous avons besoin de bons titres. Nous avons besoin de viande - des tranches et des tranches de viande - aloyaux tendre et juteux, filets mignons, rognons, couilles de taureau, riz de veau. Quelque jour, quand je me retrouverai au coin de la 42e rue et de Broadway, je me rappellerai ce titre et je mettrai tout ce qui me passera dans la caboche - caviar, pluie qui pisse, graisse de parapluie, macaronis, andouillettes - j'en mettrai des tranches sur tranches !

Il y a plus subversif. Mais je ne l'y ai pas encore trouvé.
Marcelline
se déplace en vélo désormais.

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