3 févr. 2009

Marcelline Crane aime les histoires qui finissent mal


Narcisse s'anéantit dans le vertige

cosmique

au plus profond duquel

chante

la sirène froide et dionysiaque de

sa propre image.

Le corps de Narcisse se vide et se perd

dans l'abîme de son reflet,

comme le sablier que l'on ne retournera

pas.

Narcisse, tu perds ton corps,

emporté et confondu par le reflet

millénaire de ta disparition,

ton corps frappé de mort

descend vers le précipice des topazes

aux épaves jaunes de l'amour,

ton corps blanc, englouti,

suit la pente du torrent férocement

minéral

des pierreries noires aux parfums âcres,

ton corps...

jusqu'aux embouchures mates de la nuit

au bord desquelles

étincelle déjà

toute l'argenterie rouge

des aubes aux veines brisées dans

«les débarcadères du sang».

Narcisse,

comprends-tu?

La symétrie, hypnose divine de la

géométrie de l'esprit, comble déjà ta tête

de ce sommeil inguérissable, végétal,

atavique et lent

qui dessèche la cervelle

dans la substance parcheminée

du noyau de ta proche métamorphose.

La semence de ta tête vient de tomber

dans l’eau.

L'homme retourne au végétal

par le sommeil lourd de la fatigue

et les dieux

par l'hypnose transparente de leurs

passions.

Narcisse, tu es si immobile

que l'on croirait que tu dors.

S'il s'agissait d'Hercule rugueux et brun,

on dirait : il dort comme un tronc

dans la posture

d'un chêne herculéen.

Mais toi, Narcisse,

formé de timides éclosions parfumées

d'adolescence transparente,

tu dors comme une fleur d'eau.

Voilà que le grand mystère approche,

que la grande métamorphose va avoir

lieu.

Narcisse, dans son immobilité, absorbé

par son reflet avec la lenteur digestive

des plantes carnivores, devient invisible.

Il ne reste de lui

que l'ovale hallucinant de blancheur

de sa tête,

sa tête de nouveau plus tendre,

sa tête, chrysalide d'arrière-pensées

biologiques,

sa tête soutenue au bout des doigts

de l'eau,

au bout des doigts

de la main insensée,

de la main terrible,

de la main coprophagique,

de la main mortelle

de son propre reflet.

Quand cette tête se fendra,

Quand cette tête se craquèlera,

Quand cette tête éclatera,

ce sera la fleur,

le nouveau Narcisse,

Gala -

mon narcisse.

Salvador Dali

in Métamorphose de Narcisse,

Éditions surréalistes,

Paris, 1937

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