Narcisse s'anéantit dans le vertige
cosmique
au plus profond duquel
chante
la sirène froide et dionysiaque de
sa propre image.
Le corps de Narcisse se vide et se perd
dans l'abîme de son reflet,
comme le sablier que l'on ne retournera
pas.
Narcisse, tu perds ton corps,
emporté et confondu par le reflet
millénaire de ta disparition,
ton corps frappé de mort
descend vers le précipice des topazes
aux épaves jaunes de l'amour,
ton corps blanc, englouti,
suit la pente du torrent férocement
minéral
des pierreries noires aux parfums âcres,
ton corps...
jusqu'aux embouchures mates de la nuit
au bord desquelles
étincelle déjà
toute l'argenterie rouge
des aubes aux veines brisées dans
«les débarcadères du sang».
Narcisse,
comprends-tu?
La symétrie, hypnose divine de la
géométrie de l'esprit, comble déjà ta tête
de ce sommeil inguérissable, végétal,
atavique et lent
qui dessèche la cervelle
dans la substance parcheminée
du noyau de ta proche métamorphose.
La semence de ta tête vient de tomber
dans l’eau.
L'homme retourne au végétal
par le sommeil lourd de la fatigue
et les dieux
par l'hypnose transparente de leurs
passions.
Narcisse, tu es si immobile
que l'on croirait que tu dors.
S'il s'agissait d'Hercule rugueux et brun,
on dirait : il dort comme un tronc
dans la posture
d'un chêne herculéen.
Mais toi, Narcisse,
formé de timides éclosions parfumées
d'adolescence transparente,
tu dors comme une fleur d'eau.
Voilà que le grand mystère approche,
que la grande métamorphose va avoir
lieu.
Narcisse, dans son immobilité, absorbé
par son reflet avec la lenteur digestive
des plantes carnivores, devient invisible.
Il ne reste de lui
que l'ovale hallucinant de blancheur
de sa tête,
sa tête de nouveau plus tendre,
sa tête, chrysalide d'arrière-pensées
biologiques,
sa tête soutenue au bout des doigts
de l'eau,
au bout des doigts
de la main insensée,
de la main terrible,
de la main coprophagique,
de la main mortelle
de son propre reflet.
Quand cette tête se fendra,
Quand cette tête se craquèlera,
Quand cette tête éclatera,
ce sera la fleur,
le nouveau Narcisse,
Gala -
mon narcisse.
in Métamorphose de Narcisse,
Éditions surréalistes,
Paris, 1937
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