8 déc. 2009

Henri Laborit / Eloge de la fuite


"L'angoisse est pour nous fondamentalement liée à l'inhibition de l'action, dont les causes sont multiples, mais dont une des principales est le déficit informationnel."

"De plus, la civilisation industrielle ayant conduit à l'entassement des hommes dans les gigantesques cités modernes, hommes soumis à un travail parcellaire, répétitif et sécrétant l'ennui, l'espace d'improvisation se rétrécissant et les dépendances s'accroissant chaque jour, les seules fuites furent donc la drogue, tranquilisante ou psychotogène, la névrose ou la psychose, le suicide, dont celui des adolescents s'accroit en nombre de façon inquiétante, ou enfin le retour aux mythes répandus par les multiples sectes souvent exploiteuses et cachant leur intérêt économique sous le masque de la spiritualité.

Enfin, une angoisse qui se cramponne au ventre de tout homme (...), l'angoisse de la mort, demeure toujours présente malgré les efforts faits par les sociétés productivistes pour la faire oublier, car elle risque de diminuer la productivité. (...) Les jeux du cirque banalisés, la pseudo-liberté des vacances incrustée dans la vie journalière, les divertissements innombrables, du plus banal au plus sophistiqué, tentent de faire oublier que la mort est au bout de cette vie sans signification -autre que de recevoir un salaire pour subsister, et acquérir non seulement des biens répondant aux besoins fondamentaux, mais aussi ceux répondant aux besoins acquis, ceux que la publicité a fait naitre, aussi exigeants maintenant que les premiers. (...)

Pour certains, la science a pu repousser très loin les limites de l'espace et du temps où l'homme est inclus. Mais pour la plupart, ceux dont la représentation du monde ne va guère plus loin que les murs de leur bureau, de leur entreprise ou de leur HLM, l'espace s'est au contraire prodigieusement rétréci. Ils se sentent cloisonnés, aliénés, déboussolés, ne sachant plus devant leurs manettes ou leur ordinateur où se trouve le nord qu'Ulysse, dans sa recherche de la route de l'étain, savait repérer grace à l'étoile polaire."

"Quand les sociétés fourniront à chaque individu, dès le plus jeune age, puis toute sa vie durant, autant d'informations sur ce qu'il est, sur les mécanismes qui lui permettent de penser, de désirer, de se souvenir, d'être joyeux ou triste, d'être calme ou angoissé, furieux ou débonnaire, sur les mécanismes qui lui permettent en résumé de vivre, de vivre avec les autres, quand elles lui donneront autant d'informations sur cet animal curieux qu'est l'homme qu'elles s'efforcent depuis toujours de lui en donner sur la façon la plus efficace de produire des marchandises, la vie quotidienne de cet individu aura la chance d'être transformée.

Quand il s'apercevra que les choses se contentent d'être et que c'est nous, pour notre intérêt personnel ou celui du groupe auquel nous appartenons, qui leur attribuons une "valeur", sa vie sera transfigurée. Il ne se sentira non plus isolé mais uni à tous à travers le temps et l'espace, semblable et différent, unique et multiple à la fois, (...) passager et éternel, propriétaire de tout sans rien posséder, et cherchant sa propre joie, il en donnera aux autres.
"

Les travaux d'Henri Laborit sur le conditionnement sont à la base du film Mon oncle d'Amérique d'Alain Resnais en 1980. Il fait montre de l'expérience scientifique sur des rats qui l'a amené à développer le concept d'inhibition de l'action et qui explique dans quelles conditions de stress des rats isolés somatisent (ulcères).

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